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Devenir ou Destin
En marchant , élaborer nos propres chemins ou bien suivre les vieilles ornières.

Vaste amoncellement de réflexions personnelles sur la vie, la science, la politique, la nature?, l’esprit?, parfois les actualités politiques… Dirigés vers un but : élaborer notre propre chemin afin d’éviter le morbide et prévisible destin capitaliste.

Le tout avec de nombreux détours musicaux.

Des brèches dans l’identitarisme ambiant font peur
Article mis en ligne le 1er juillet 2018

Le concept identitaire a totalement imprégné la pensée de gauche, on le voit à la façon dont celle-ci se révulse à l’idée qu’une partie de la pensée politique anticapitaliste – traditionnellement considérée comme faisant partie d’une pensée de gauche [1] – se serait mise à célébrer l’identité alors que, sans toujours savoir le dire clairement, c’est l’appartenance qu’elle célèbre, l’appartenance et, en premier lieu, un sentiment d’appartenance gage d’un enracinement vivant, actif présentement. C’est qu’il s’agit d’un anticapitalisme qui va totalement à rebours de la conception sociologique, propre à la pensée occidentale, d’un monde constitué d’individus libres et indépendants qui, au lieu de s’enraciner dans la vie présente, s’intègrent à un système étranger à la vie et réglé pour mener une course idéalement éternelle appelée « progrès de l’humanité » ; il ne peut donc être compris, encore moins admis, par la gauche. Ce progrès des humains est en fait celui d’un Occident s’étant toujours perçu comme quintessence de l’humanité et enfin parvenu à pressurer puis avaler, tel un boa constrictor, l’ensemble humain, et nous sommes bel et bien en droit de l’identifier absolument, depuis ses origines, au capitalisme?, à la civilisation industrielle marchande et progressiste ; c’est bien cela, très précisément cela, que désigne le terme Occident – par où l’on peut voir, déjà, un souci géographique de nature? identitaire. Mais les gens de gauche sont incapable d’admettre à la fois la nature? gauchiste de l’Occident et sa nature? capitaliste, car ils ont malheureusement célébré Karl Marx de la même façon que les psychanalystes ont, un peu plus tard, célébré Sigmund Freud : sans se demander à quel point sa pensée pouvait être d’abord celle de son milieu, c’est-à-dire être polluée par son milieu – comme la pensée de chacun (Marx et Freud ont fait du bon travail, mais un travail intimement lié à un milieu social?, à un milieu économique, à un milieu culturel, et ils ont extrapolé à partir de là – c’est là un exemple d’une « authenticité dans la proximité avec un environnement » (voir plus loin)) !

Il résulte de tout cela que la pensée "de gauche" est à proprement parler la pensée bourgeoise, c’est elle qui porte la culture du progrès. La bourgeoisie n’a qu’une action, l’industrie, et qu’une volonté, le progrès (le capital est le moyen mis en œuvre pour aligner tous les humains, et même tous les êtres vivants et l’univers, en rang derrière la bourgeoisie). Elle s’est donnée, au XVIIIe siècle, un fétiche mobilisateur : la liberté ; parce que la liberté est un concept corvéable à merci.
La gauche défend âprement la civilisation occidentale en ne voyant pas que la civilisation occidentale, c’est la civilisation industrielle marchande parfois nommée capitalisme?, et rien d’autre – tous les "progrès" des quatre derniers siècles, nous les devons à ce "capitalisme?", tous. La gauche ne sait pas de quel animal elle est la tête pensante, aussi elle en traite comme s’il s’agissait de l’Univers et qu’il ne pouvait donc rien exister hors de lui. La gauche ne peut pas être objective puisqu’elle est l’esprit? de son objet d’étude, elle est vraiment gauche – sauf dans la mesure où elle construit cet objet d’étude, la société? ; elle en est alors le dieu.

Le mal identitaire s’est logée dans les têtes n’acceptant pas de voir que l’appartenance n’a aucunement besoin d’identité. Ce ne sont assurément pas les têtes des défenseurs d’enracinements communautaires, mais au contraire toutes les autres. Nul n’appartient à un terroir, nul n’appartient à une nation. C’est notre civilisation qui a imposé à tous l’impératif d’une Indication Géographique Protégée, d’une identité, non les vies communautaires, qui n’en ont que faire !

La confusion est grande. Une conception ubuesque de l’enracinement a mis dans tous les esprits l’idée que les êtres humains, contrairement aux autres vivants, s’enracineraient dans un passé mort et non dans le vivant présent – l’absurdité ne fait jamais peur à l’Occidental, ou alors c’est qu’il est en instance d’une rupture qui va rapidement être dénoncée par quelques-uns des plus vertueux croyants en la religion occidentale post-chrétienne. L’appartenance est quelque chose de vivant présentement, c’est une relation vive entre les appartenant, et c’est cette relation même qui peut être qualifiée de communauté, parce qu’elle forme communauté.

Au centre de la pensée occidentale est l’individu?. C’est la notion d’individu? libre de penser et d’agir sans en référer à personne? sinon aux légistes, aux experts du droit, droit ayant le rang de "science" officielle, qui est au cœur de l’Occident et de son épanouissement, c’est cela qui a libéré le démon capitaliste marchand? de toutes ses chaînes. Elle est sous-tendue par la croyance en une suprématie effective de l’intellect sur l’affect, de la raison sur la passion – là est la vraie croyance dominante.

Dans un article publiée fin mai 2018 par Le Monde Diplomatique, Evelyne Pieiller se gargarise de contrevérités [2]. Selon elle, lorsque le collectif Mauvaise troupe dénonce l’« anthropologie du monde occidental », qui inventa « la vision d’un sujet libre de tout attachement, d’un sujet raisonnable et indépendant, mais qui finalement est un sujet amputé du monde » [3], il confond "la raison, l’universalisme, et le capitalisme?, sur fond d’essentialisme anti-« occidental »". Selon elle, c’est "postuler qu’il n’est d’identité que du groupe, d’authenticité que dans la proximité avec un environnement, de vérité que dans les affects". Mais qui donc se soucie, ici, d’identité ? Une communauté familiale n’a besoin, ni de contrôler les identités de ses membres, ni d’affirmer une identité qui serait la sienne, son souci est de vivre et voilà tout. Il en est ainsi de toute communauté, quel que soit son espèce. Le souci identitaire est un produit typiquement capitaliste, essentiellement capitaliste, oui.

Et qui donc peut se soucier d’authenticité, sinon ceux-là qui n’ont, effectivement, pas de monde : les dociles individus ne pouvant être en train de vivre une appartenance parce qu’ils sont essentiellement déliés ? Qui appartient à son monde sait que ce monde, s’il s’en retire, n’est plus tout à fait le même monde, n’est plus son monde mais pourtant est encore, de la même façon que chacun, chaque jour, n’est plus le même que la veille mais pourtant toujours le même (et pouvant donc être identifié, sans pour autant être forcément reconnu pour ce qu’il est devenu). L’être vivant réellement est partie constituante d’une communauté vivante, et l’authenticité n’est pour lui qu’un problème identitaire de collectionneur (l’esprit? collectionneur est une déclinaison particulière de l’esprit? accumulateur typiquement marchand? qui s’est développé à partir du XVIe siècle ; s’il avait à l’origine une dimension encore communautaire, c’est parce que, dans le monde marchand?, richesse équivaut à rang social?).

Quant aux affects… Quoi qu’on en pense, les affects d’un sujet demeurent pour lui des vérités objectives, celles concernant l’entre émotionnel de ses relations avec sa ou ses communauté(s) et ses empreintes corporelles (l’affect est une réalité corporelle, matérielle) [4]. C’est l’ouvrage en commun? qui rassemble les humains, conjointement à la nécessité de garder sous protection éducative les enfants durant de longues années ; grégarité et reproduction sexuée nécessitant durable protection des enfants ont coévolué ensemble dans une harmonie précaire mais réelle. L’organisation industrielle marchande brisa seule, en quelques siècles, ce travail de plus de dix milles ans. Au bout de ce chemin appelé « Progrès », il n’y aura plus ni famille, ni ouvrage en commun?, mais des sortes de binômes individu?/machine qui seront à la fois mains d’œuvre et projets industriels servant à la déité de l’« économie » industrielle marchande, l’État, mais bien plus encore à son Église, la dite « économie » elle-même.
Il n’y a plus personne?, seulement des individus. Toute personne? a des liens sensibles, un entre entretenu par des actions communes ; les non-personnes individus n’ont que des rapports entretenus par l’action de la société?, comme s’ils n’étaient que des éléments d’une mécanique. L’individu? social? qu’est devenu tout être humain "occidentalisé", a pris l’habitude d’appréhender toute réalité de façon mécaniste. Et c’est justement en cela qu’il est "social?", individu? de "la société?" et non personne? d’une ou plusieurs communauté(s). Idéalement, l’individu? est un être qui ne contribue pas à un entre quel qu’il soit, ni même à un commun?, et c’est cet appauvrissement du soi qui lui donne une vision mécaniste des rapports humains.

Mais l’Occident a parié qu’il était possible de baser tous nos rapports sur les vérités objectives observables de l’extérieur par l’intellect de chacun. C’est ce qui permet de mesurer le pour et le contre sans discussion et de tout décider en se référant à des tables de la loi. La pensée occidentale est, par essence, antidémocratique.

Les communautés ne mettent pas en jeu des terroirs – nous ne sommes pas des pieds de vignes labellisés. La communauté peut ne pas avoir une réalité géographique, être spatialement indéfinie ; et si, comme toute entité vivante, elle a un passé, une histoire, c’est toujours au présent et sur le présent qu’elle se construit. Elle existe, c’est-à-dire elle vit – tant qu’elle ne cherche pas à s’identifier à un mythe, par exemple un passé mythique.

L’anthropologue Maurice Godelier a lui aussi, sur le nez, les lunettes de l’identitarisme?. Dans un entretien avec Le Monde, il cherche à nous mettre en garde contre les affirmations identitaires des grands pays dit "émergents" – sous-entendu (pour tout esprit? occidental), économiquement émergents. Selon lui, si le confucianisme se redéveloppe et si l’hindouisme est politiquement soutenu par l’État indien, alors c’est que l’Inde et la Chine refusent de s’occidentaliser. Pourtant, l’apparition d’un souci identitaire est une forte marque occidentale, l’identité étant une qualité de réalités individuelles, non une marque communautaire [5].

M. Godelier remarque bien que le véritable souci émane, dans chaque cas, d’un pouvoir politique soucieux de se maintenir. Il s’agit donc pour ces pays de contrer le modèle occidental du pouvoir politique : multipartisme, liberté d’expression, séparation de l’Église et de l’État… Mais alors, pourquoi voit-il en cela des soucis identitaires ? Les véritables objectifs de ces Etats s’affublent d’atours folkloriques si l’occasion s’en présente, ou bien d’une morale religieuse, se donnant ainsi l’air, aux yeux myopes et divergents d’un occidental, d’avoir des problèmes d’identité.

La légitimité du pouvoir chinois maoïste lui était apportée par le parti et sa doctrine, par l’éducation de la jeunesse, par lui-même. C’est toujours le cas, avec une doctrine qui évolue au gré des circonstances.

Les pouvoirs politiques qui n’émanent pas de l’Europe de l’ouest ne peuvent suivre le modèle occidental sans s’y perdre, car ils ne disposent pas des mêmes verrous. L’Occident a verrouillé la religion dans le monde chrétien et non dans les autres mondes. L’Occident a verrouillé l’intellect, l’histoire et le politique dans l’ancien monde gréco-romain, pas dans les autres mondes... En revanche, lorsque l’Occident a verrouillé l’affect en le collant à l’esprit? compétitif et à la recherche perpétuelle de la performance, l’effet a été universel.

L’anthropologue semble par ailleurs oublier au moins un élément majeur du modèle de l’Occident : l’État de droit, soit une institution juridique forte. Cet élément est une pièce essentielle à la fois du modèle économique et du modèle social? occidental. Économie et société? sont étroitement imbriquées, aucun État ne peut s’y soustraire s’il accepte le système économique. En particulier, c’est l’État de droit qui définit précisément les pouvoirs et leur hiérarchie et, en même temps, les jeux politiques permis et ceux qui sont interdits ou rendus impossibles. Il est au-dessus de l’État dans la mesure où il est international, et le système dit "économique" de notre civilisation industrielle marchande est nécessairement international et même, de préférence, mondial. Idéalement interplanétaire, même. Il y a donc, nécessairement, un droit international en exercice, d’origine occidentale (et donc en phase avec l’idéologie d’un progrès sociologique et technologique comme inévitable destinée).