Athena
Éditions La Différence, Oeuvres complètes de Fernando Pessoa, tome 1 : Proses, 1988

« Ce que nous appelons culture se présente sous deux formes ou de deux façons. La culture n’est autre que le perfectionnement subjectif de la vie. Ce perfectionnement est direct ou indirect ; dans le premier cas on l’appelle art, science dans le second. Par l’art, nous nous perfectionnons nous-même ; par la science, nous perfectionnons en nous notre conception, ou notre illusion, du monde.

Mais comme notre conception du monde comprend celle que nous avons de nous-même et que, d’autre part, cette dernière renferme la conception que nous avons des sensations grâce auxquelles le monde nous est donné, il s’ensuit que, dans ses fondements subjectifs, et donc dans sa plus grande perfection en nous – qui n’est autre que sa plus grande conformité avec ces mêmes fondements –, l’art se mêle à la science, la science se confond avec l’art.

Les grands artistes se consacrent avec une telle assiduité et une telle application à l’étude des matériaux, dont ils auront à se servir, qu’ils semblent plutôt des savants de ce qu’ils imaginent, que des apprentis de leur imagination. Aussi trouve-t-on souvent, dans les œuvres comme dans les paroles des grands savants, des étincelles logiques du sublime ; c’est leur enseignement qui a inventé la formule "le beau est la splendeur du vrai", que la tradition, exemplairement erronée, a attribuée à Platon. Et dans l’action la plus parfaite que nous puissions imaginer – celle de ceux que nous nommons des dieux – , nous aimons d’instinct les deux formes de culture : nous nous les représentons créant comme des artistes, sachant comme des savants, mais en même temps ; car ce qu’ils créent, ils le créent totalement, comme une vérité, non comme une création ; ce qu’ils savent, ils le savent totalement car ils ne l’ont pas découvert, ils l’ont créé. »
Fernando Pessoa, Athena, octobre 1924 (in Œuvres complètes, vol. 1).